Le principe de segmentation marketing à t-il encore un sens ? (21 mars 2007)

Publié sur le Journal du Management le 27 juillet 2005

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Du macroscosme au « mésocosme » client

A l’instar de la physique qui par changement d’échelle ajuste sa focale, du regard « Macro » (le macroscope, le visible ) au « micro » (l’invisible, au cœur du noyau atomique) la segmentation marketing suit un processus métaphoriquement comparable. Il s’agit de découper son marché, sa population de client pour descendre du global au local.
Le graal, la particule élémentaire du Marketer serait de pouvoir décortiquer chaque individu – client (profil, actions, intentions…) pour agir en réel mode One to One. Devant l’impossibilité matérielle et financièrement non rentable d’une telle démarche, sur des volumes de plus en plus énormes de clients, la limite plancher d’aggrégation est bien souvent le segment (niveau intermédiaire « méso » qui serait à l’image du regard au niveau moléculaire du scientifique).
Identifiable, manipulable, exploitable (nécessité d’un minimum d’individus par segments) la segmentation permet ainsi de créer des répartitions, des groupes d’individus de telle manière que les unités au sein d’un même groupe soient les plus semblables (homogénëité intra) entre elles et les plus dissemblables d’un groupe à l’autre (hétérogénëité inter).
A partir de ce principe de base, moult méthodes intégrées dans des applications Crm et Datamining permettent via la statistique classique ou des algorythmes plus avancés (application Crm et Datamining…) de « partitionner » ses clients.


Divisez sans relier n’est pas connaître

La pratique de la segmentation nous rappelle étrangement un des principes de la rhétorique cartésienne pour laquelle l’analyse (du grec analusis = décomposition, la lyse en biochimie = coupure, séparation) consiste à découper l’objet d’étude en autant de parties élementaires séparées les unes des autres pour avoir connaîssance du tout.
On constate déjà dans ce principe la volonté de disjoindre et de cloisonner (non transversalité).
En analyse de base de données, le marketing fait donc appel pour décider et agir à des méthodes de découpage, de compartimentation issues de sciences « académiques » dites exactes. On peut donc s’interroger à l’heure d’une réthorique Marketing qui se prétend hautement relationnelle, sur la légitimité d’un quantitativisme qui, utilisé à l’excès, réduirait de fait le « sujet - client» à un seul objet de dénombrement.
Ce réductionnisme ampute naturellement la connaissance du client dans sa constitution multidimensionnelle, sa définition complexe et psycho-sociologique.


Un marketing en recomposition

Ce constat est d’ailleurs à rapprocher des pratiques alternatives du Marketing (street marketing, marketing expèrientiel, intermédiation C to C…) qui est à la mesure de l’insensibilisation croissante des clients et notamment des plus jeunes aux « mécaniques » classiques de marketing et de communication.
Ce « néo » marketing à visage humain (H to H : Human to Human) en émergence devient « in vivo » en se recentrant sur la vie réelle, le mouvement, l’affect, l’émotion, le sens.


L’assise scientifique d’une connaissance

D’Aristote à Auguste Comte en passant par Descartes nous gardons ancré en nous l’héritage (formatage ?) des critères de la scientificité d’une connaissance :

Ces oukases de la scientificité ne sont plus gravés dans le marbre, au vu de l’évolution de certaines sciences (physique quantique, sciences du chaos et des systèmes non linéaires et complexes…). Mais les sciences dites de gestion, par nécessité d’être reconnues dans l’arbre « reconnaissant » des connaissances officielles et certainement non contente d’être qualifiées stupidement de sciences molles, ont adopté, emprunté des méthodologies scientifiques (la cybernétique étant aussi passée par là).

Naturellement les sciences de gestion ont contaminé l‘ensemble des disciplines s’y rattachant avec des méthodes aux fondements scientifiques (mathématiques de la décision, statistiques, recherche opérationnelles, modèles d’optimisation…).
Le Marketing, « inter ou trans-discipline » par excellence, n’avait donc aucune raison d’être épargné par « cet emprunt scientifique » tant et si bien que le Client a été intégré progressivement comme objet de connaissance.

Ainsi donc aujourd’hui ce même client enregistré en base ou en entrepôt de données est traité par les « Crmistes » comme une ontologie c’est à dire, un objet de la nature, une donnée « à priori », extèrieure à son observateur.
Cette perspective reviendrait donc à dire que le client existerait indépendemment de la représentation que nous en avons et surtout indépendamment de l’observateur (marketer, analyste de données).


De la segmentation à la défragmentation

Le regard sociologique (post ou hypermoderne) s’attache moins à l’individu (in-divisible) comme singularité, qu’à la personne (du latin personna = masque) multi - appartenante à des communautés, des « galaxies » virtuelles ou réelles, des « micro-sociétés » liquides, instables, mouvantes. La nouvelle logique de groupement serait donc inversée, moins réductrice que la segmentation puisque il s’agirait de recomposer, de « relier » au lieu de « délier ». Bref une vision plus de l’ordre du « champs » (au sens de la Physique), du « maillage clients» éphémère, flou et souple, voir même de l’Attracteur étrange (cf théorie du chaos). Cette vision ne ferait plus du client un simple Objet clos du « connaître », mais un vrai Projet de connaissance ouverte.


Denis FAILLY

01:05 Écrit par Denis Henri Failly | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Marketing, marketing, post modernité, compexité, web 2.0, client, crm | |  Facebook | | Pin it! |  Imprimer | | |