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12 mars 2005
Du B to C au H to H
Article paru le 01/12/04 sur le Journal du management
Tout chargé d'études souhaiterait pouvoir effectuer une mesure réelle et permanente, de ce qu'est le client à l'instant "t" dans toutes ses dimensions intéressant le marketing (comportements, attitudes, opinions, relations, réseaux…). Faute de pouvoir le faire, nous sommes obligés de le figer dans l'instant de la mesure, avec la simplification et la réduction que cela impose.
Chaque individu est porteur à un moment donné "t" d'un spectre identitaire et comportementale constitué par :
- son profil socio-démographique.
- ses attitudes, opinions, motivations et perceptions relatives aux marques, aux entreprises, aux produits, aux
services, etc.
- ses comportements d'achat, de ré-achat, de fidélité, d'infidélité.
- ses moments de vie et ses contextes de consommation.
Ce spectre est naturellement très mouvant, même si le profil classique, à savoir, socio-démographique, est relativement statique à moyen et long terme. Tout ce qui relève des données de la perception (vécu, imaginaire client…), et donc du rendu de cette perception, est en revanche très instable et changeant parfois à très court terme.
Par analogie avec l'espace quantique, l'individu se retrouverait donc dans un espace flou et probabiliste, sorte de plasma, appréhendable sur certaines singularités à un certain moment (les données classiques à l'instant de la mesure du chargé d'études) mais insaisissable dans sa totalité.
La masse manquante du client
Le client complexe, multi-dimensionnel, pose le problème du caractère insaissisable de ses comportements individuels, par nature volatils et instables du fait :
du caractère parfois simultané, superposé des comportements selon une logique du "ET" par opposition au "OU" binaire.
d'une tendance au paradoxe dont s'accommode très bien notre sujet et que l'on peut trouver par exemple dans les différences constatées entre le déclaratif (dans une enquête, un questionnaire auto-administré) et le "constaté" (actions réelles).
Ainsi, à l'instar d'une particule atomique qui change de niveau d'énergie, le consommateur saute donc d'un espace à un autre (espace de choix, d'offres, d'attitudes, de transactions, de fréquentations, d'achats...). Ces sauts s'expriment notamment par des comportements d'abandon, d'infidélité, de zapping, qu'essaient justement d'endiguer les acteurs marketing.
Vers un marketing post moderne
Qu'il soit expérientiel, viral, street ou autre, nous sentons bien qu'un marketing alternatif émerge depuis quelques années pour changer la donne sur la manière d'approcher le consommateur. Cette évolution n'est certainement pas un hasard. Nous savons bien que le pilotage d'une relation client qui serait par trop pré-définie, formatée, encapsulée dans un quantitativisme confortable, est réducteur.
La connaissance client ne s'enferme pas dans la grille mutilante des équations. Courir derrière le client avec les mêmes recettes qu'hier est de plus en plus vain. A un consommateur post moderne devra donc bien répondre un marketing post moderne. Les stratégies, les outils, les méthodes, voire les concepts, qui émergeront devront s'alimenter d'une culture de la complexité délaissant les pratiques linéaires, binaires, cartésiennes, déterministes, analytiques, cloisonnantes qui nous ont forgé par habitude, réflexe, éducation voire ignorance.
Relativiser les modèles
Le statut "quantique" de l'entité individu-client, l'évolution chaotique de ses comportements et de ses perceptions qui nous révèlent sa réalité subjective, posent questions sur la valeur "d'avant-vente" des données et de la connaissance client. On peut souligner à cet égard :
- le caractère très contextuel, subjectif de certaines données (évènements et faits générateurs de la donnée).
- la dépendance entre variables et évènements dans le monde réel, par opposition à certains principes
statistiques et probabilistes (postulat d'indépendance).
- le déterminisme de certains modèles statistiques dont la fixation des règles fait forcément l'objet d'un parti pris.
- l'interrogation sur la justesse, la volatilité, la durée de vie de la donnée.
On peut donc s'interroger sur la pertinence, si ce n'est le caractère très relatif de certaines pratiques et applications.
Dans ce contexte, la base de données idéale serait multi-temporelle, multivue et se structurerait selon :
- le temps long des études lourdes (6 mois un an).
- le temps médian de la gestion de la base (heures, jours, semaines).
- le temps court, voire très court, du réel observable mais matériellement inobservable ("le vif du sujet").
Gestion de la relation client
Quant au CRM, il peut sembler étonnant lorsque l'on consulte certains ouvrages, lorsque l'on assiste à certaines conférences, voire même aux rares formations (formations initiales) existantes, d'entendre les mêmes discours stéréotypés, très formatés, uniformes sur cette outil et, de notre point de vue, dénués de toute approche qualitative, affective, humanisante, distanciée.
En réalité enseignants ou experts nous parlent plus souvent de la gestion de la donnée client que de la relation client. Et quand bien même la composante relation est abordée, elle relève bien souvent des outils et des technologies. Hors la multi-dimensionnalité du client évoquée plus haut se perçoit, se conçoit, dans un rapport véritablement bilatéral, "affectio personae", empathique entre l'entreprise et son client.
La substance d'une relation se définie aussi par son contenu, un supplément d'âme derrière lequel doit savoir s'effacer le "média". En quête de sens, à la vérité que révèle le client doit correspondre la vérité de celui qui le sollicite.
Savoir-faire et savoir-être doivent pouvoir se conjuguer dans une subtile alchimie non pas pour vendre ou collecter toujours plus des données, mais pour vendre ou nourrir sa connaissance client toujours mieux et juste. Revenir aux fondamentaux en faisant du BtoC par du HtoH (Human to Human) n'est pas une régression en soi.
Denis FAILLY
15:55 Écrit par Denis Henri Failly dans Marketing | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : Marketing | | Facebook | | | Imprimer | |
Commentaires
Je vous suggère de lire la rubrique "à propos" de ce site qui a trouvé son public même si c'est un peu trop conceptuel pour vous, mais vous êtes bienvenue naturellement.
Tout site aussi conceptuel soit-il à droit de citer, et ce qui m'intéresse plus ce sont les démarches d'esprit, l'élasticité "cognitive", le regard diffèrent, la pensée complexe, alternative que l'on peut apporter à des pratiques, qu'elles soient professionnelles ou privées.
Votre réponse sur l'action, le concrét certes légitime est typique de l'acte réflexe basique en décalage avec l'objet de ce site.
L'impatience de l'action, de l'opérationnel, de la recette peut-être (?) à tout prix peut-être assouvie par moult prestataires et offres "packagées" "prémachées" mais ce n'est pas une fois encore l'objet de ce site.
Je ne diffuse pas sur ce site une connaissance "actionnable" directement, c'est à chacun de se la réapproprier au même titre que jel le fais moi même.
Mon expèrience et les recommandations que j'ai pu faire dans mon métier sur moult problématiques (marketing, communication, études) m'ont malheureusement trop souvent montré l'allergie, le préjugé, le non intérêt voire la volonté de rester dans l'ignorance de nombreux interlocuteurs (managers, décideurs, marketers...).
Alors en terme d'action je pense qu'il s'agit d'évangéliser pas à pas par les écrits des uns, les conférences des autres, les recommandations au quotidien.
Que pensez -vous que fait (et loin de moi l'idée de me comparer à lui) un Edgar MORIN qui depuis une trentaine d'année, concoit, écrit, diffuse sa méthode (il a achevé son 6éme tome en 2004) qui est un appel à changer de paradigme.
Paradigme qui touche à l'individu, la socièté et même l'espèce humaine (Voir tome 6 "Ethique")
Depuis Descartes je ne connais pas beaucoup d'Esprits qui ont passé autant de temps à construire une méthode qui touche tous les domaines de la vie. Il s'agit aussi d'une alternative à Descartes dont nous sommes malheureusement parfois les héritiers spirituels formés et déformés.
Elle dépasse donc nos petits domaines professionnels et transcende notre confort ou nos certitudes intellectuelles.
Alors il est vrai qu'a l'heure des gesticulations médiatiques
où se retrouvent des pseudos philosophes ou maîtres de la pensée en boîte (qu'on t-il apporté à la philosophie comtemporaine??) on ne voit pas ou très peu sur les plateaux de télévision un Edgar Morin ou un Michel Mafessoli.
Et il faut croire que si vous n'avez pas le label "vu à la télé" ou "lu dans le journal" vous n'existez pas.
Il existe pourtant un "collége" invisible qui réfléchi
et tente d'irriguer la socièté de ses pensées.
Alors vous pensez bien compte tenu de tout cela je ne vais pas vous apporter sur un plateau d'argent des solutions toutes faîtes.
Écrit par : denis | 06 février 2005
Bonjour,
Ai trouvé votre site grâce à Viaduc. Belle initiative même si elle me semble très conceptuelle. Que proposez vous pour passer à l'ACTION? concrètement, quelles sont vos préconisations???
On en parle?
Catherine Champeyrol
chargée de développement
Carlin International
Écrit par : catherine champeyrol | 06 février 2005
bonjour denis,
votre blog est très réussit. auriez-vous des infos sur le "marketing expérientiel" (ou expériential marketing en anglais) ?
que pensez-vous de cette approche ?
cordialement
oliv
PS : vous pouvez me répondre à oliv_g@hotmail.com
Écrit par : oliv | 24 avril 2005
La métaphore est essentielle dans toute stratégie, elle autorise à partager une dualité propre à toute entreprise : l'image et le contenu, le factuel et l'émotion
Frédéric Zantman
Écrit par : Frédéric Zantman | 31 mai 2005
Félicitations pour votre analyse en aval du problème. Elle est remarquable. Maintenant, il reste à aller en amont, c'est à dire reconstruire du réel à partir de ces analyses. C'est ce que je m'attache à faire depuis 10 ans. J'ai également fait l'analyse que vous développez ici, mais sans doute de façon moins théorique, et en partant plus des produits eux-mêmes, peut être plus pragmatique aussi. Là, je suis occupé à lancer une nouvelle activité qui répond à ces questions. Mais je crois qu'il faut résolument changer de paradigme. Vouloir le HtoH que vous décrivez dans le paradigme du contrôle total et millimétré du marketing actuel… je ne crois pas que ce soit possible. Pour revenir à un son plus naturel il ne suffit pas de mettre un CD sous le bras d'un pick-up performant… Il faut changer tout le paradigme. Combien d'entreprises sont-elles prêtes à prendre ce risque? … Je conseille une entreprise qui pratique une informatique très avancée par rapport à l'Etat de l'Art actuel. Tous les paramètres prouvés sont étonnants: fiabilité totale, temps de développements réduits de 5 fois, nombre de lignes de code divisé par 100… coûts divisés par 3 à 5. Nous avons eu beaucoup de mal à convaincre une première gande institution financière. Pourtant…
Pour le moment, je ne tiens pas à m'exprimer sur ce que je suis en train de faire, personnellement. C'est encore en phase de croissance embryonnaire. Mais je me ferai un plaisir de vous en reparler plus tard.
Cordialement,
MN
Écrit par : Marc Nassaux | 03 novembre 2005
Cette notion de Marketing HtoH, au demeurant fort intéressante, m'a transportée vers certaines destinations de vacances que j'affectionne tout particulièrement.
C'est là bas, dans les pays du Maghreb ou de l'afrique de l'ouest par exemple, que j'ai rencontré de nombreux adeptes et pratiquants du marketing HtoH...
En effet, il me semble que de nombreux vendeurs sur les marchés ou les boutiques pour touristes ont une remarquable élasticité cognitive et pratiquent un relationnel extrêmement pointu avec leur clients. Il n'est pas rare par exemple de voir un vendeur converser en différentes langues avec différents clients et proposer, en même temps, des prix totalement différents pour un même objet. Ces prix ne sont pas établis au hasard mais intègrent de très nombreux paramètres "perçu" sur le client dès son entrée dans la boutique: origine et langue, tenue vestimentaire, "comportement" dans la boutique, actes d'achat précédent dans la même rue (chez des confrères), etc.
C'est un spectable fascinant à observer et d'une très grande intelligence marketing qui correspond bien à cette description du H to H qui intègre la complexité humaine, le relationnel et la conversation au coeur du "marché"...
Écrit par : Christophe Hoffstetter | 05 mars 2006
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